Entretien avec Susanne Mattle Rohrer 2024/1 - Cancer pédiatrique : Soutenir les proches - Campagnes - Actualité - Kinderkrebsschweiz
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« Nous avons eu l’immense chance d’avoir un environnement social favorable »  

Entretien avec Susanne Mattle Rohrer, mère concernée

Interview mit Susanne Mattle Rohrer

La fille de Susanne Mattle Rohrer s’est vu diagnostiquer une leucémie à l’âge de 13 ans. Du jour au lendemain, l’univers de cette famille de cinq personnes a basculé. La chimiothérapie contre le cancer a duré deux ans. Malin a combattu la maladie et survécu. La phase intensive du traitement a été très éprouvante et cette épreuve n’a pu être relevée qu’avec un solide soutien extérieur, dont la famille est très reconnaissante. Elle souhaiterait que les autres personnes concernées bénéficient de plus d’empathie, de flexibilité et de soutien.

Madame Mattle Rohrer, il y a quelques années, les médecins ont diagnostiqué une leucémie à votre fille. Comment les choses se sont-elles passées à ce moment-là ?

Je devais aller chez notre médecin de famille pour une visite de routine et j’en ai profité pour emmener Malin, car elle se sentait épuisée depuis quelque temps. Je n’étais pas spécialement inquiète car elle avait dû faire un bilan de santé dix jours auparavant pour une future compétition d’aviron. Au vu de ses valeurs sanguines suspectes et de sa rate légèrement hypertrophiée, la médecin de famille nous a envoyées aux urgences de Stans. C’est là que le mot « leucémie » a été prononcé pour la première fois et nous avons été immédiatement orientées vers les urgences de l’hôpital pédiatrique de Lucerne. Mon mari et moi étions partagés entre la peur et l’espoir qu’il s’agisse d’une erreur, mais les nouveaux examens subis par Malin ont confirmé le diagnostic. Elle avait une leucémie aigüe lymphoblastique*. En l’espace de quelques heures, notre vie a complètement basculé. L’après-midi, nous étions encore chez notre médecin de famille et le soir à minuit, Malin était branchée à différents appareils dans le service d’oncologie pédiatrique de l’hôpital. Nous étions abasourdis et n’avions aucune idée de ce qui nous attendait. Toute notre existence s’est effondrée.

 

Que s’est-il passé ensuite ? 

Malin a commencé la chimiothérapie dès le lendemain du diagnostic. Les premiers jours sont passés comme dans un film. Les rendez-vous et les médecins s’enchaînaient. Il y avait sans cesse des questions à régler et des décisions importantes à prendre car le traitement peut entraîner des effets à long terme. Au bout de trois semaines assorties de complications supplémentaires, elle a pu revenir une journée à la maison pour la première fois. Tout ne tournait plus qu’autour du cancer ou plutôt de la lutte contre le cancer. Comme la chimiothérapie standard ne s’avérait pas suffisamment efficace, Malin a été classée dans le groupe à haut risque. Une décision qui impliquait des chimiothérapies plus fréquentes, plus agressives et qui entraînait des complications pouvant mettre sa vie en danger. Mais Malin a fait preuve d’une persévérance incroyable, elle a remporté le combat et survécu !

 

Quels sont les principaux défis auxquels vous avez été confrontés en tant que famille durant la thérapie ?

La chimiothérapie a duré deux ans. La première année, mon mari et moi nous sommes relayés pour être en permanence à l’hôpital ou à la maison avec Malin. Nous avons fait des allers-retours incessants entre notre domicile, l’hôpital et notre lieu de travail. J’ai pu tout de suite réduire mon activité professionnelle à un minimum sur le long terme. Sinon, j’aurais dû démissionner. Cela nous a permis d’avoir au moins un revenu à deux. Les grands-parents nous ont aussi été d’un grand secours, pour garder les frères et sœurs de Malin durant les hospitalisations surtout. Il y avait un fossé entre Malin, gravement malade, et son frère et sa sœur, en bonne santé et sportifs, et bien entendu, il n’était pas toujours facile de les satisfaire tous les trois. Il nous a par ailleurs fallu apprendre à gérer notre peur concernant Malin. Être témoin de la souffrance de son enfant et le voir lutter sans pouvoir l’aider, il n’y a rien de pire pour des parents. C’est une situation incroyablement douloureuse.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus aidé durant cette période ?

Nous avons eu l’immense chance d’avoir un environnement social favorable qui nous a été d’un grand soutien à bien des égards. Nous sommes profondément reconnaissants à notre entourage. Mon oncle, par exemple, a mis une voiture à notre disposition. Nous habitons à la campagne, Malin était souvent si affaiblie qu’il lui était impossible d’emprunter les transports en commun pour se rendre à l’hôpital. Ce véhicule supplémentaire nous a beaucoup facilité le quotidien durant le traitement. Même si nous restions parfois longtemps sans nous voir, mon mari et moi étions en contact permanent et parlions beaucoup au téléphone. Et dès que nous en avions la possibilité, nous allions faire un tour ensemble dans la nature, qu’il neige, qu’il pleuve ou qu’il vente. Ces discussions étaient essentielles : nous y puisions de la force et le sentiment de pouvoir y arriver ensemble malgré les nombreux revers. Nous avons toujours essayé de rester positifs et d’aller de l’avant, pour Malin, son frère et sa sœur. Comme il nous tenait à cœur que nos enfants en bonne santé ne se sentent pas négligés, nous avons essayé de partager avec eux des moments brefs mais intenses. Le soutien financier dont nous avons bénéficié nous a été d’une grande aide, lui aussi. L’association Kinderkrebshilfe Zentralschweiz avait pris en charge les innombrables tickets de parking ainsi que de nombreux trajets à l’hôpital. Cela nous avait énormément soulagés car nos revenus se sont trouvés réduits alors que nos dépenses augmentaient. Malin devait régulièrement prendre des médicaments non pris en charge par l’assurance maladie et les frais de déplacement s’accumulaient. Rien que pour l’oxygénothérapie hyperbare à Bâle, nous avions par exemple parcouru près de 9300 kilomètres en trois mois.

 

Comment Malin a-t-elle vécu cette période et géré sa scolarité ?

Malin nous avait dès le début promis qu’elle allait se battre. Et elle a tenu parole. Elle s’est battue et ne s’est jamais plainte de son destin alors qu’elle en aurait eu toutes les raisons au regard des nombreuses complications graves qui sont survenues. Durant les premières semaines d’hôpital, elle se faisait encore du souci pour l’école car elle avait l’impression de trop manquer. Mais elle a vite réalisé qu’elle n’en avait de toute façon plus la force. Dix mois se sont écoulés avant que Malin ne puisse retourner quelques heures à l’école pour la première fois. Comme elle avait perdu quasiment une année, elle a dû redoubler une classe. Cela a été difficile pour elle car elle a dû renoncer à ses amies de longue date et se faire une place dans une nouvelle classe. Et ce n’en était pas fini des absences : Malin a raté encore un millier d’heures de cours environ, à cause des contrôles de suivi, des traitements ou des hospitalisations dues aux effets à long terme. Sa volonté de fer lui a néanmoins permis d’obtenir sa maturité. La compréhension et le soutien que lui ont témoignés l’école et ses camarades de classe y sont sans doute aussi pour beaucoup. Cela l’a énormément aidée.

 

Votre fille a maintenant 20 ans. Comment va-t-elle aujourd’hui ?

Malin est guérie, c’est une immense joie pour nous. La chimiothérapie à haute dose qui lui a sauvé la vie a toutefois laissé des séquelles physiques. Elle souffre notamment d’ostéonécroses prononcées au niveau des deux genoux. Les douleurs sont intenses et elle a de grandes difficultés à marcher. Pendant six ans, elle s’est déplacée à l’aide de béquilles et en fauteuil roulant, a subi divers traitements et opérations sans que la douleur ne lui laisse de répit, puis, en 2023, on lui a posé des prothèses complètes de genou aux deux jambes. Même si les douleurs n’ont pas complètement disparu, elle remarche et retrouve sa joie de vivre. Dans les prochaines semaines, elle a prévu de partir en voyage avec des amies dans quelques pays européens et au Sri Lanka. Je m’en réjouis car de tels projets lui étaient jusqu’à présent inaccessibles. Elle a récemment effectué un stage dans le service des urgences d’un hôpital. En dépit de son parcours, ou peut-être justement à cause de son parcours, elle envisage de faire des études dans le secteur de la santé. Nous verrons bien comment la situation évoluera.

 

Quels sont à vos yeux les domaines dans lesquels les parents d’enfants malades ont le plus urgemment besoin de soutien ?

Cela peut aller de choses pratiques du quotidien aux aides financières, en passant par le soutien psychologique. Tout le monde n’a pas comme nous la chance d’avoir un employeur compréhensif et une famille présente. Lorsqu’un enfant tombe aussi gravement malade, le monde se fige, on a l’impression d’être dans une bulle : on fait bloc et on lutte ensemble en famille, parce qu’il le faut bien d’une manière ou d’une autre. Cela demande beaucoup d’énergie, or elle fait parfois défaut. Nous aurions aimé avoir une sorte de service d’assistance, un numéro que nous aurions pu appeler, pour X ou Y raison : pour un repas lorsque le temps manque, pour le transport, pour les points à régler concernant les assurances, en cas de questions d’ordre financier ou médical, pour bénéficier d’un soutien psychologique, pour les soins de suivi, pour obtenir des conseils, pour faire garder les frères et sœurs ou pour toute autre interrogation, besoin ou incertitude. Un premier point de contact concret de ce type pourrait contribuer à alléger le fardeau des parents d’un enfant atteint de cancer en les conseillant ou en les orientant vers les services adéquats, de la manière la plus simple possible et dans les domaines les plus divers.

 

Comment l’entourage peut-il venir en aide aux familles touchées par le cancer ?

Le diagnostic de cancer chez un enfant marque le début d’un parcours éprouvant et exigeant pour toute la famille. Il est d’autant plus important, pour les personnes concernées, que l’entourage direct fasse preuve d’empathie et de serviabilité, et que les employeurs ainsi que les interlocuteurs à l’école se montrent compréhensifs, coopératifs et un tant soit peu flexibles. Nul ne peut traverser l’épreuve du cancer à la place des enfants et de leurs familles, mais il est possible de les épauler au mieux afin d’alléger ne serait-ce qu’un peu leur fardeau. S’occuper des frères et sœurs, apporter un repas ou un plat de sa confection sont autant de témoignages de solidarité qui peuvent conférer une touche de légèreté à un quotidien très pesant. Savoir accepter l’aide offerte lorsqu’on en a besoin n’est cependant pas toujours facile, c’est sans doute quelque chose qui demande à être appris. Je souhaite à toutes les familles concernées de pouvoir compter sur un entourage qui les soutienne et de s’armer de courage !

 

* La leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) est une affection maligne du système hématopoïétique. Les leucémies comptent parmi les principaux cancers survenant pendant l’enfance et l’adolescence.

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