« Le lien avec l’école est primordial, il faut tout faire pour le maintenir. »
Entretien avec Fausto Moser*, père concerné
Fausto Moser vit avec sa famille à Genève. Son fils Gino a eu une leucémie à l’âge de sept ans. Cinq ans plus tard, il va bien, mais n’est pas considéré comme entièrement guéri et est soumis régulièrement à des examens de contrôle. Pendant sa maladie, son père s’est battu pour que Gino puisse poursuivre sa scolarité et maintenir le lien essentiel avec l’école et ses camarades de classe. La pandémie de COVID-19 a prouvé qu’il existait désormais des solutions pour briser l’isolation dont souffrent de nombreux enfants frappés par le cancer et leur famille.
Votre fils a eu une leucémie à l’âge de sept ans. Comment la maladie a-t-elle été diagnostiquée et comment va-t-il aujourd’hui ?
A l’automne 2014, Gino a eu plusieurs maladies saisonnières de façon rapprochée, dont l’origine n’a pas pu être clairement établie. C’est lors d’un passage aux urgences que le diagnostic a finalement pu être établi : notre fils souffrait d’une leucémie ! De savoir fut presque un « soulagement » après tant questions sans réponse. Il a été hospitalisé immédiatement pendant tout un mois et a subi ensuite un traitement intensif lourd pendant près de 6 mois, suivi d’un traitement ambulatoire à la maison et d’examens réguliers à l’hôpital. Aujourd’hui il a 12 ans et demi et il va bien. Il est en rémission, mais doit continuer à se soumettre à des contrôles médicaux réguliers.
Le traitement a duré plusieurs mois. Votre fils a-t-il pu bénéficier d’un suivi scolaire pendant la phase intensive de traitement à l’hôpital ?
Une enseignante au sein de l’équipe hospitalière s’est chargée de maintenir le lien avec l’école pendant le premier mois du traitement. Elle faisait le relai avec la classe et Gino s’efforçait de faire ses devoirs lorsqu’il s’en sentait capable.
Que s’est-il passé lorsqu’il est revenu à la maison et a été traité en ambulatoire ?
Une institutrice mandatée par le département de l’instruction publique venait lui faire cours quatre heures par semaine. Compte tenu de la lourdeur des traitements et des effets secondaires, ce n’est pas toujours facile pour un enfant malade de trouver la force de suivre les cours dispensés et de pouvoir se concentrer. Mais, celui lui faisait du bien en même temps de renouer le contact avec l’extérieur, de se motiver pour apprendre et pour faire ses devoirs. Gino a eu la chance d’être soutenu par sa classe pendant cette période difficile : son instituteur a maintenu le lien par le biais notamment d’un carnet de dessins et sa classe lui envoyait des photos régulièrement. Le maintien de ce lien social a été essentiel pour lui.
Neuf mois après le diagnostic, votre fils a pu retourner à l’école sous certaines réserves et grâce à la mise en place de mesures sanitaires strictes. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Un enfant qui est traité pour un cancer a un système immunitaire très affaibli et la moindre infection peut lui être fatale. Les risques d’infection à l’école sont particulièrement élevés en cas d’épidémie de varicelle, rougeole, gastroentérite et scarlatine par exemple. Afin que la rentrée se passe dans de bonnes conditions, le médecin scolaire avait préparé des consignes strictes pour les enseignants qui devaient permettre de limiter autant que possible ce risque d’infection. Toute épidémie devait par exemple être signalée sans délai par l’école pour que nous puissions prendre les devants. Le respect de ces consignes a permis à Gino de reprendre une vie scolaire à peu près normale.
Ces cas d’épidémie scolaire se sont-ils produits ?
Oui, il y eu par exemple deux épidémies de varicelle. Souvent anodine pour des enfants en bonne santé, elles ont amené Gino à manquer presque trois mois de cours. Au début de sa maladie, j’ai fait de mon mieux pour me charger moi-même des cours à la maison. Malgré le budget que la directrice avait pu obtenir pour un enseignant à domicile, il n’a pas été possible de trouver quelqu’un qui veuille prendre le relai. Nous avons fini par trouver une répétitrice, payée par une fondation, qui a pu venir deux heures par semaine. Pas vraiment idéale, cette situation a au moins permis d’éviter une coupure complète avec l’école. Malgré cela, Gino était très isolé socialement. Un courrier au département de l’instruction publique n’a malheureusement pas réussi à débloquer la situation. Lors de la seconde épidémie, la directrice a pu trouver un enseignant qui veuille bien nous aider. Nous avons eu de la chance de pouvoir compter sur une équipe pédagogique engagée et très à l’écoute. D’autres parents n’ont malheureusement pas eu cette chance.
Qu'est-ce qui a été le plus difficile pour votre famille pendant cette période où Gino n’avait pas de cours à domicile ?
Les difficultés pour la famille sont multiples et les parents doivent être au four et au moulin en permanence. La maladie et l’angoisse sont omniprésentes et pourtant il faut continuer à s’occuper de ses autres enfants qui ont tout autant besoin de nous, à vaquer aux tâches ménagères, à assurer la logistique et le quotidien, alors que l’esprit est ailleurs. Le parent qui par ailleurs administre les traitements à l’enfant et assure en parallèle son instruction a du mal parfois à investir son rôle de parent faute de temps. Ma femme ne travaille pas et a donc pu heureusement rester à la maison auprès de nos enfants pendant cette période. J’ai la chance d’avoir un employeur très compréhensif et j’ai pu rester avec mon fils les premiers 3 mois et demi. C’est un coup de chance que tous les parents n’ont pas. Malgré cela, la solitude a été très difficile à vivre pour Gino et sa grande sœur s’est complètement effacée.
Comment pourrait-on d’après vous améliorer le suivi scolaire d’un enfant atteint de cancer, mais apte à suivre les cours ?
Il est primordial qu’un élève ne soit jamais livré à lui-même dans son rapport avec l’école. Il faudrait que le suivi scolaire ne soit pas une « option » pour les écoles, mais un droit, et qu’il soit obligatoirement assuré par des enseignants. S’il n’est pas possible d’avoir un professeur présent sur place, on pourrait au moins assurer des cours en ligne et en direct, comme cela a été fait pendant l’épidémie de COVID-19. Pouvoir suivre les cours à distance permettrait de renforcer le sentiment d’appartenance sociale, ce qui a tellement manqué à mon fils. Le système de l’enseignant personnel à domicile a prouvé ses limites. Contrairement à l’émulation d’une salle de classe, l’enseignement privé se limite à l’interaction entre deux personnes. Un élève bénéficiant d’un enseignement à distance peut participer, écouter les réponses des autres enfants et interagir avec sa classe, ce qui est nettement plus stimulant.
Comment mettre en place des solutions plus adaptées selon vous ?
L’enseignement est organisé au niveau cantonal. Les changements s’effectuent donc à un niveau très local. S’il n’y a pas de solution idéale, une uniformisation par le haut serait à mon sens souhaitable, afin d’éviter les inégalités de traitement entre enfants et parents de différents cantons. Il faudrait définir un standard d’enseignement à distance, qui puisse être utilisé non pas seulement pour les cas de pandémie, mais aussi quand on a un enfant malade. Evidemment, l’enseignement à distance pose des problèmes juridiques, notamment en terme de droit à l’image. Il faudrait trouver une solution nationale, qui définirait un cadre juridique et technologique clair. Pour l’instant les situations sont traitées au cas par cas et relèvent souvent du système « débrouille ». Si les parents ont la chance d’avoir un bon contact avec l’enseignant tout se passe bien. Si cela n’est pas le cas, la situation est bien plus difficile pour l’enfant.
Que faut-il faire pour faciliter la situation des parents ?
Le traitement d’un enfant qui a un cancer dure souvent plus d’un an, parfois bien plus longtemps. De nombreux parents ne peuvent malheureusement pas se permettre de quitter leur emploi pendant la durée du traitement. Faciliter le télétravail dans cette situation, lorsque le type d’emploi le permet, améliorerait de façon significative le quotidien de toutes les familles concernées. L’enfant se sentirait entouré des siens pendant la difficile phase de traitement intensif. Les parents ne seraient pas confrontés en permanence à la crainte de perdre leur emploi, pourraient maintenir le lien avec leur environnement professionnel et resteraient disponibles, au moins à temps partiel, pour leur employeur.
Que conseilleriez-vous aux autres familles se trouvant dans une situation similaire ?
Le lien avec l’école est primordial, il faut tout faire pour le maintenir, malgré les difficultés. Avec le COVID-19, on peut toutefois espérer que les choses s’améliorent dorénavant Le confinement vécu par tout le monde pendant cette pandémie, c’est une expérience de facto déjà vécue par les parents d’un enfant malade. On ne se rend pas compte de l’isolation causée par la maladie d’un enfant. Les médecins nous donnent des « directives », toute une liste de contraintes. Très vite, vous êtes amené en tant que famille à vous isoler, vous confiner, pour minimiser le risque de ramener une maladie à la maison qui représenterait un danger pour l’enfant. Cela signifie énormément de restrictions pour toute la famille, y compris les frères et sœurs. Plus personne ne pouvait venir chez nous par exemple. En même temps on accepte de se plier à ces contraintes lorsque la vie de son enfant est en jeu.
Concernant l’enseignement à distance, des solutions existent visiblement. Il faut donc les développer et les généraliser au niveau national afin que chaque enfant frappé par un cancer ait une chance de maintenir le lien avec sa classe et de continuer à bénéficier d’un enseignement de qualité. L’école est centrale pour le développement d’un enfant, il ne faut donc jamais lâcher, même si on a l’impression de remonter en permanence une rivière à contre-courant. Il faut tout faire pour ne pas sacrifier le futur de l’enfant et lui assurer les mêmes chances de réussite que les autres.
* pour préserver son anonymat, la famille de Gino nous a demandé de modifier son nom