Entretien Martin Boltshauser 2023/1 - Cancer pédiatrique :  Perspectives d'avenir ? - Campagnes - Actualité - Kinderkrebsschweiz
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« Il est essentiel d’informer le plus tôt possible les patients et leurs familles des aspects juridiques »

Entretien avec Martin Boltshauser de Procap

Martin Boltshauser est avocat et responsable du service juridique de Procap, la plus grande association suisse d’entraide destinée aux personnes avec handicap. Avec son équipe, il propose un premier conseil aux jeunes adultes guéris et à leurs parents, dans le cadre de permanences juridiques destinées aux personnes concernées par le cancer de l’enfant. 

 

Monsieur Boltshauser, votre travail vous amène à côtoyer de nombreux jeunes survivants d’un cancer pédiatrique et leurs parents. Quelles sont les principales préoccupations qui poussent ces personnes à venir vous voir ?

Parmi les questions qui me sont posées en consultation, beaucoup portent sur les périodes de transition, entre l’école et la formation ou entre la formation et la carrière professionnelle. On constate malheureusement souvent que les effets à long terme de la maladie et du traitement compliquent ces étapes charnières, voire les empêchent dans les pires des cas. Parfois aussi, les effets à long terme ont déjà amené les personnes à solliciter l’assurance-invalidité (AI). Il faudra alors, entre autres démarches, clarifier les droits à certaines prestations comme la prise en charge des mesures médicales, l’allocation pour impotents, la compensation des inégalités à l’école, etc. À cela s’ajoute qu’un cancer pédiatrique génère souvent des effets à long terme sur les plans médicaux et psychosociaux, et entraîne aussi, dans certaines circonstances, des conséquences juridiques. Celles-ci ne sont pas négligeables car, dans la durée, elles peuvent peser de manière décisive sur la situation économique et la qualité de vie des patients et de leurs proches. Lors des permanences juridiques, nous informons donc les jeunes adultes guéris et/ou leurs parents des risques et des possibilités d’action en ce qui concerne l’assurance sociale.

 

Pourquoi les phases de transition vers la formation ou la vie professionnelle sont-elles parfois particulièrement critiques ? 

Chaque ancien malade est différent et a son histoire propre. Certains ont la chance de ne connaître quasiment aucun effet à long terme, d’autres au contraire se débattent avec des limitations physiques et psychosociales. Il peut s’agir de troubles de la concentration, de fatigue chronique, d’une absence de vie sociale ou d’autres difficultés. Dans un premier temps, ces problèmes sont souvent occultés, car il est évidemment difficile de parler de ses déficits. Avec l’aide des parents et une compensation d’inégalité, les anciens patients parviennent à en surmonter un certain nombre, du moins en partie, et ont l’impression que tout va bien. Mais la situation peut devenir critique lorsque, en situation de formation ou dans la vie professionnelle, il apparaît aux personnes concernées que leurs capacités sont bel et bien limitées. Il est donc extrêmement important, d’un point de vue juridique, de poser le plus tôt possible les jalons d’une protection, au cas où ces jeunes devraient un jour arrêter leur activité pour cause d’invalidité.

 

Certains jeunes adultes guéris optent pour le temps partiel, les effets à long terme dont ils souffrent ne leur permettant pas d’assumer un volume de travail plus important. À quoi doivent-ils faire attention ? 

Si un salarié entre en poste avec un temps de travail limité (p. ex à 80 % ou 60 %) sans que l’AI soit impliquée ou sans que la capacité de travail diminuée ait fait l’objet d’une déclaration médicale, ce temps partiel est considéré comme volontaire. S’il faut plus tard réduire encore le temps de travail en raison de nouveaux problèmes de santé, voire quitter le poste, les personnes concernées peuvent rapidement se retrouver en situation de précarité. À ce stade, il peut devenir difficile, voire impossible, de faire valoir ses droits à des prestations AI. Il convient donc de consigner le plus tôt possible par écrit les problèmes de santé empêchant le travail à temps complet. Cela implique de procéder à une évaluation réaliste des effets à long terme, car ceux-ci peuvent avoir des répercussions cruciales sur les années à venir, voire jusqu’à la retraite. Malheureusement, ni le dépôt de demande d’AI à titre préventif ni la déclaration médicale ne sont aujourd’hui obligatoires. Les jeunes adultes guéris et leurs parents, qui ignorent bien souvent ces conditions juridiques, risquent donc de manquer certains délais importants et de subir les inconvénients d’un dépôt de demande d’AI trop tardif.

 

La plupart des employeurs se montrent réservés sur le sujet du cancer. Les jeunes adultes guéris se demandent donc souvent s’il est pertinent ou nécessaire de parler ouvertement de leur maladie lors d’un entretien d’embauche. Que leur répondez-vous ?

La loi est très claire sur ce point. D’une manière générale, les candidats ne sont pas tenus d’évoquer leurs antécédents médicaux dans une lettre de motivation ou au cours d’un entretien d’embauche, sauf si le handicap ou la déficience en question peut avoir un impact sur le poste concerné. Dans les faits, nous constatons souvent que les jeunes adultes guéris n’abordent pas le sujet en entretien d’embauche, le plus important étant à leurs yeux – et c’est compréhensible – d’obtenir le poste. Néanmoins, si leurs capacités se révèlent par la suite insuffisantes pour l’exercice de leurs fonctions, ils encourent parfois le risque d’un licenciement. Nous savons néanmoins que les employeurs privilégient les candidats sans handicap ni déficiences, et que ceux qui parlent ouvertement de leur maladie et de leurs limitations ont de fortes chances de ne pas être retenus. Il n’y a donc pas de réponse toute faite. En outre, la Suisse n’oblige pas les employeurs à embaucher des travailleurs avec handicap. Je recommanderais donc de s’adapter au cas par cas, même si une personne jeune et sans expérience a parfois du mal à appréhender correctement son interlocuteur dans le stress d’un entretien d’embauche. Un coaching professionnel ciblé pourrait ici s’avérer utile, au même titre qu’un conseil de carrière conçu spécifiquement autour des besoins de ces jeunes adultes. Malheureusement, les offres en la matière sont pour l’heure insuffisantes.

 

Quelles offres de soutien à l’intégration professionnelle l’AI propose-t-elle à ces jeunes adultes guéris ? Les jugez-vous satisfaisantes ?

Ces jeunes bénéficient en général d’un soutien pour leur formation professionnelle initiale, lorsque le handicap entraîne des frais d’au moins 400 francs par an, par exemple lorsqu’il faut allonger la durée de formation ou que des prestations d’assistance complémentaires s’imposent. En théorie, les mesures proposées par l’AI devraient suffire. Le vrai problème, en ce qui concerne l’intégration professionnelle, vient en réalité de notre société, tournée vers la performance. Les individus qui, à cause d’un handicap ou d’une limitation quelconque, ne sont pas en mesure d’assumer un temps complet ont généralement du mal à trouver leur place sur le marché du travail. On le note tout particulièrement chez les jeunes ayant survécu à un cancer dans l’enfance ou l’adolescence. Ils ne sont pas assez « opérationnels » pour le marché du travail ordinaire, mais leur profil ne convient pas non plus au marché du travail secondaire. Ils ne rentrent dans aucune case. Si durant leur formation ou plus tard au cours de leur vie professionnelle, ils constatent que les effets à long terme dont ils souffrent les empêchent d’être efficaces à plein temps, leur situation financière et personnelle peut devenir très compliquée.

 

Des études prouvent que le désavantage en matière de formation est quasiment inexistant pour la majorité des survivants d’un cancer. D’après votre expérience, comment se passe leur entrée dans la vie active ?

C’est un tableau qu’il faut nuancer. Certains parviennent à mener à bien une formation tandis que d’autres ont bien plus de mal et sont souvent obligés de passer par des voies détournées. Bien sûr, avec une capacité de travail limitée, il est plus facile de trouver un emploi dans certaines branches que dans d’autres. Ainsi, il est globalement plus aisé d’obtenir un temps partiel dans les métiers du soin, en raison de la pénurie de main-d’œuvre dans ce secteur. Cette possibilité existe en théorie dans d’autres domaines d’activité, mais les faits montrent tout autre chose. Il faut en général que les candidats fassent preuve d’une grande flexibilité, autrement dit qu’ils soient disposés à effectuer des heures supplémentaires ou à travailler à temps plein le cas échéant. Pour les individus présentant des limitations, comme les jeunes adultes guéris qui souffrent parfois de fatigue chronique, cette flexibilité est souvent inatteignable, parce qu’ils supportent moins bien les surcharges de travail et ont besoin de davantage de temps de récupération. Dans ces cas-là, même si le poste ouvert est à temps partiel, la plupart des employeurs privilégient le candidat ou la candidate disposant de toutes ses capacités. Pour que les personnes porteuses de handicap ou les jeunes adultes guéris limités par les séquelles de leur maladie aient les mêmes chances que les autres sur le marché du travail, il faudrait que les employeurs se montrent plus tolérants et ouverts.

 

Que faudrait-il changer pour mieux informer les personnes concernées et les inciter à poser le plus tôt possible les jalons de leur sécurité ?

Beaucoup de jeunes adultes guéris et leurs parents ignorent malheureusement qu’un examen médical constatant les effets à long terme de la maladie peut avoir une importance capitale pour leurs droits dans le futur. Il est très difficile de prouver a posteriori à l’AI que l’existence de problèmes de santé antérieurs à la formation. C’est pourquoi il est essentiel d’informer le plus tôt possible les patients et leurs familles de ces aspects juridiques afin qu’ils puissent toujours conserver leur capacité d’action. Pour cette raison, je pense qu’il serait souhaitable que la consultation juridique soit une composante des soins de suivi médicaux et psychosociaux. Des offres d’orientation et de coaching professionnels pourraient aussi être proposées. Là encore, il existe un manque à combler. Les enfants et adolescents sont heureusement de plus en plus nombreux à vaincre leur cancer et il faut donc que le marché du travail soit en mesure d’accueillir davantage de jeunes adultes guéris dans les années à venir. Pour anticiper cet afflux, on pourrait envisager de concevoir les soins de suivi sous la forme d’une sorte de « package ». Pour le moment, ce type d’offres n’existe malheureusement pas, mais les permanences juridiques de Cancer de l’Enfant en Suisse sont un premier pas important dans la bonne direction.  

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