Entretien avec Angela Engel 2024/1 - Cancer pédiatrique : Soutenir les proches - Campagnes - Actualité - Kinderkrebsschweiz
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« Les parents d’enfants atteints de cancer ont besoin de multiples formes de soutien »

Entretien avec Angela Engel, travailleuse sociale à l’hôpital cantonal d’Argovie

Interview mit Angela Engel

Travailleuse sociale à l’hôpital cantonal d’Argovie, l’un des neuf centres spécialisés en oncologie pédiatrique de Suisse, Angela Engel apporte son soutien aux familles d’enfants atteints de cancer. Elle connaît bien leurs difficultés et appelle à plus de compréhension et de tolérance à leur égard.

Madame Engel, vous accompagnez les parents d’enfants atteints de cancer. En quoi consiste votre travail ?

Nous sommes un service social et en tant que tel, notre mission est de conseiller les parents et de leur trouver des relais, le plus tôt possible après le diagnostic. Nous analysons la situation familiale de chaque enfant et échangeons avec l’équipe soignante pour déterminer la nature et les modalités de l’aide à fournir. De nos jours, la maladie soudaine d’un enfant confronte les parents à maintes difficultés, qui varient selon les schémas familiaux. Nous nous efforçons d’aborder avec les personnes concernées les inquiétudes et les besoins individuels, et de proposer notre aide là où elle est la plus urgente. Au plus tôt de préférence, pour éviter que les parents ne s’effondrent sous le fardeau après des mois sans répit. 

 

Quelles sont exactement vos missions ?

En cas de maladie aussi grave que le cancer, les difficultés sont multiples. La thérapie peut durer des mois, voire des années, le succès du traitement n’est pas certain, les conséquences à long terme sont parfois lourdes... Pour tenir, il faut faire preuve d’une grande résistance et d’endurance, et ménager ses ressources. L’éventail de nos missions, très large, va de considérations pratiques comme l’organisation d’une aide-ménagère ou d’un service de visite pour l’enfant malade, aux discussions avec l’employeur, en passant par les demandes d’aides financières et la résolution de questions de couverture sociale. Mais souvent, il suffit aussi de prêter une oreille attentive. Beaucoup de parents sont soulagés de pouvoir parler ouvertement de leur situation et de leurs angoisses.

 

Quels sont problèmes les plus sérieux qui se posent aux familles ?

Les parents d’enfants atteints de cancer ont besoin de multiples formes de soutien. Au moment où le diagnostic tombe, peu d’entre eux savent exactement ce qui les attend. En plus d’être très inquiets pour leur enfant, ils sont vite confrontés à des angoisses matérielles, car pendant un certain temps, il n’est plus possible d’avoir une activité professionnelle « normale » comme avant la maladie. Ils doivent aussi résoudre des problèmes pratiques, comme l’organisation du quotidien, l’école, la prise en charge des frères et sœurs... Ces sujets sont souvent complexes, d’autant qu’aujourd’hui, le modèle familial « classique » avec un papa et une maman n’est plus aussi répandu. Selon le schéma familial (famille monoparentale ou recomposée, coparentalité...), les conditions et les possibilités d’organisation du quotidien avec un enfant malade varient.

 

Les problèmes financiers liés à la maladie sont-ils fréquents ?

Oui, la question des finances se pose en général rapidement : les dépenses mensuelles augmentent en raison des frais liés à la maladie alors que les revenus baissent puisque dans la plupart des cas, l’un des parents au moins ne peut plus travailler, ou seulement de manière réduite pendant toute la durée de la thérapie. Il faut par ailleurs savoir que les 14 semaines de congé auxquelles ont droit les parents d’enfants gravement malades sont rémunérées à 80 % du revenu moyen. Si le budget familial était déjà serré, les familles se retrouvent vite en grande difficulté financière. C’est particulièrement vrai des foyers monoparentaux. Autre facteur de risque : les nombreuses dépenses additionnelles induites par la maladie, par exemple les trajets, le stationnement, la restauration et l’hébergement hors domicile, la garde des frères et sœurs... Être malade en Suisse coûte cher et bien souvent, ces coûts ne sont que partiellement, voire pas du tout couverts par les assurances. C’est pour cela que nous commençons toujours par clarifier la couverture sociale de la famille. Nous vérifions les prestations prises en charge par l’assurance-maladie ou invalidité. Dans la pratique, cependant, c’est souvent la douche froide. Il arrive par exemple que les familles n’aient même pas droit à une aide de ménage pendant la phase la plus intense de la maladie. Et ce sont des fondations et associations qui pallient le manque lorsque ces familles ont besoin d’un coup de pouce financier.

 

Qu’en est-il du droit du travail ? Quelle attitude les employeurs adoptent-ils ?

Depuis 2021, les parents ont droit à 14 semaines de congé pour s’occuper de leur enfant gravement malade. Si juridiquement, il n’y a aucune ambiguïté, dans les faits, selon les entreprises, les parents sont plus ou moins en confiance pour évoquer leur situation. En cas de problème, nous cherchons à établir un dialogue avec l’employeur, nous jouons le rôle de médiateur entre lui et le parent, et nous aidons aussi à faire la demande de congé de prise en charge. Dans les faits, nous voyons de tout : certains parents ont l’immense chance d’avoir un employeur très compréhensif et bien informé, tandis que d’autres essuient l’incompréhension et un certain manque de tolérance vis-à-vis de leur situation. La réalité est très contrastée et il n’est pas toujours possible de trouver des solutions simples et rapides. 

 

Quelle aide les employeurs peuvent-ils apporter ?

Les parents d’enfants atteints de cancer se retrouvent dans une situation extrême, qui les submergent dans tous les domaines. Certains ne savent pas comment aborder ce sujet difficile avec leur hiérarchie, ni comment demander un congé pour s’occuper de leur enfant. Car si les 14 semaines légales sont très précieuses, elles sont malheureusement loin d’être suffisantes. Par ailleurs, l’expérience montre que la compréhension des employeurs s’érode fortement au fil des mois. Le cancer pédiatrique est un sujet difficile, effrayant. Mais pour cette raison même, il est important que les parties puissent dialoguer en toute franchise. Les employeurs peuvent par exemple relâcher la pression qui pèse sur ces collaboratrices et collaborateurs et leur autoriser des modèles de temps de travail plus flexibles : ce serait déjà un soulagement.

 

Quels autres soutiens peut-on apporter à ces parents ?

Il est important, entre autres, de leur alléger le quotidien et de les aider à s’occuper des frères et sœurs en bonne santé. Ces derniers souffrent eux aussi de la situation et se sentent généralement délaissés. Leurs parents sont souvent absents, la vie de la famille ne tourne plus qu’autour de leur frère ou sœur malade. C’est là que l’entourage – grands-parents, autres membres de la famille, amis, parents de camarades d’école – peut être d’une grande aide. En effet, concernant l’organisation du quotidien, de nombreux parents tentent de s’en sortir avec un minimum d’aide extérieure, du moins au début. Mais lorsque le linge en souffrance s’accumule, que personne n’a mangé de vrai repas depuis des semaines et qu’ils n’ont plus le temps de suivre les devoirs des frères et sœurs, ils finissent par admettre qu’ils ne peuvent pas continuer ainsi. À ce moment-là, le service social, avec l’accord de la famille, essaie de trouver une aide extérieure, sous forme par exemple d’une aide de ménage financée par une association ou une fondation.

 

Comment l’entourage peut-il aider concrètement ?

Les mères, qui continuent de nos jours à assumer l’essentiel des soins aux enfants et de l’entretien de la maison, sombrent souvent dans l’épuisement. Dans ces circonstances, on oublie de prendre soin de soi. C’est pourtant indispensable pour tenir le choc des mois durant, voire des années. En dehors du milieu professionnel, ce qui aide énormément les familles, c’est un entourage présent dans la durée pour leur alléger le quotidien, au travers de gestes qui peuvent être très simples : faire les courses, laver le linge, s’occuper des enfants en bonne santé, préparer des repas, assurer une visite à l’hôpital... Beaucoup de choses sont possibles !

 

* Le service d'oncologie pédiatrique de l'hôpital pédiatrique d'Aarau fait partie des 9 centres en Suisse autorisés à traiter les enfants, adolescents et jeunes adultes atteints de cancer dans le cadre de la médecine hautement spécialisée (MHS).  Depuis 2023, le service du KSA Kinderspital Aarau répond également aux exigences élevées de la Société allemande du cancer (DKG) pour un centre d'oncologie pédiatrique. Le KSA Kinderspital Aarau fait ainsi partie des trois seuls centres d'oncologie pédiatrique certifiés par la DKG en Suisse.

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