Entretien Eva Maria Tinner 2024/1 - Cancer pédiatrique : Soutenir les proches - Campagnes - Actualité - Kinderkrebsschweiz
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« La situation est accablante, surtout au début de la maladie » 

Entretien avec la Dre Eva Maria Tinner, oncologue pédiatre à l’Hôpital de l’Île de Berne

Interview mit Dr. Eva Maria Tinner

En Suisse, près de 350 enfants et adolescents sont touchés par le cancer chaque année. Du point de vue médical, l’enjeu consiste à combattre et vaincre la maladie, mais aussi à réduire au maximum les effets secondaires à long terme pour les personnes concernées. La Dre Eva Maria Tinner, médecin-cheffe en oncologie et hématologie pédiatriques à l’Hôpital de l’Île de Berne, explique les défis auxquels est confrontée toute la famille – au début du traitement en particulier.

Dre Tinner, l’annonce d’un cancer est un véritable choc, pour les enfants comme pour les parents. Comment expliquez-vous le terrible diagnostic aux personnes concernées ?

La plupart du temps, les patients se doutent déjà que quelque chose ne va pas. Et les parents sont inquiets parce que leur enfant présente des symptômes persistants ou que son état de santé n’est pas bon. Le diagnostic, aussi terrible et déstabilisant soit-il d’emblée pour la famille, apporte un certain nombre de réponses. Je commence par présenter les résultats des examens qui ont conduit au diagnostic et par exposer les premières étapes du traitement afin que l’enfant et ses parents se sentent moins démunis. Nous autres, médecins, avons tendance à informer sans attendre de connaître les détails du diagnostic, par exemple, si un enfant a une leucémie, mais que le type de leucémie n’est pas encore établi. Dès que nous disposons de toutes les informations pertinentes et que nous savons exactement quel sera le traitement, nous parlons aux parents, si possible en présence d’une psycho-oncologue et d’une infirmière diplômée. Nous donnons un aperçu du déroulement de la thérapie dans son ensemble, expliquons précisément ce qui va se passer durant la première phase, indiquons les effets secondaires susceptibles d’apparaître et attirons leur attention sur les points de vigilance. Les entretiens les plus difficiles sont ceux qui consistent à annoncer un cancer de mauvais pronostic. Nous ne pouvons dans ce cas pas offrir d’espoir de guérison, nous devons d’entrée de jeu nous concentrer sur l’atténuation des symptômes et sur le maintien de la qualité de vie.


Après l’annonce d’un cancer, qu’est-ce qui attend l’enfant et ses parents ?

Du jour au lendemain, la vie de la famille bascule. Pendant de longs mois, les enfants et leurs parents font des allers-retours entre le domicile et l’hôpital ; leur santé physique et psychique est mise à rude épreuve. La phase de thérapie intensive dure en général entre six et douze mois. Une période marquée par des séjours à l’hôpital prévus et imprévus ainsi que par la peur permanente que l’enfant ne survive pas. Pour certains types de cancer, par exemple la leucémie aiguë lymphoblastique, qui fait partie des cancers les plus fréquemment développés par les enfants, la thérapie peut durer jusqu’à deux ans car elle nécessite la mise en place d’un traitement d’entretien. Une fois la thérapie terminée, des examens de contrôle susceptibles de générer de nouvelles angoisses chez les enfants comme chez les parents prennent le relais – la surveillance, au départ étroite, s’espace ensuite. Les parents ayant un enfant atteint de cancer ne cessent jamais de s’inquiéter, à l’idée, par exemple, du risque vital que peuvent représenter pour leur enfant les infections circulant à l’école, dont certaines, comme la rougeole, pourraient être évitées grâce aux vaccinations recommandées.

 

En quoi le diagnostic de cancer impacte-t-il la vie quotidienne des familles concernées ?

Après le diagnostic, l’enfant malade doit le plus souvent être aussitôt hospitalisé pour au moins deux semaines. Normalement, l’un de ses parents ou une personne très proche reste à ses côtés. C’est particulièrement important pour les enfants en bas âge. De retour chez eux au bout de longues semaines, nos patients doivent continuer à être suivis d’extrêmement près. Les parents, profanes dans le domaine de la médecine, se voient ainsi contraints de devenir en très peu de temps des spécialistes. Ils doivent par exemple administrer des médicaments par voie sous-cutanée et prendre des décisions très complexes ou tout au moins y participer. Pendant les phases intensives de la thérapie, les enfants doivent être hospitalisés à plusieurs reprises pour des séances planifiées de chimiothérapie ou de radiothérapie. Leur système immunitaire étant affaibli, ils sont en outre exposés au risque de complications, sous la forme d’infections par exemple, souvent synonymes d’hospitalisation pour une durée indéterminée. Ces quelques exemples parmi tant d’autres montrent à quel point le quotidien des parents se trouve radicalement chamboulé à la suite d’un diagnostic de cancer pédiatrique. Il n’est pas rare qu’ils ne parviennent plus à tout concilier, surtout quand ils travaillent tous les deux et qu’ils ont d’autres enfants auxquels ils n’ont plus suffisamment de temps à consacrer. L’un des deux parents peut alors être obligé de réduire son temps de travail, voire de quitter son emploi, tout au moins pendant la phase de thérapie intensive. À cela viennent parfois s’ajouter des sentiments de culpabilité : « Pourquoi le cancer frappe-t-il mon enfant, qu’ai-je fait de mal ? ». La foi ou la conviction instinctive que tout va s’arranger se trouve elle aussi profondément ébranlée.

 

Que conseillez-vous aux personnes concernées ?

La situation est accablante, surtout au début de la maladie. Dans ces circonstances exceptionnelles, il est important pour les parents et les patients d’avancer pas à pas et d’accepter de l’aide. Pour pouvoir apporter aux parents et aux enfants le soutien dont ils ont besoin, nous travaillons en étroite relation avec des psycho-oncologues et des assistants sociaux. Souvent, les parents ne savent que penser des thérapies et options alternatives envisageables, d’autant que beaucoup d’informations fausses circulent sur Internet. Je leur conseille vivement de s’adresser directement aux médecins pour connaître les sources d’information fiables qui correspondent réellement au diagnostic de leur enfant. La santé des parents est elle aussi importante, ils ne doivent pas hésiter à solliciter de l’aide et à s’octroyer des moments de pause, pour eux-mêmes et pour leur couple. Le traitement du cancer est un marathon, pas un sprint, il leur faut donc veiller à ne pas épuiser complètement leurs forces pour rester présents aux côtés de leur enfant tout au long de cette épreuve. Si des proches, amis ou connaissances veulent se rendre utiles, il est recommandé de leur confier des tâches simples : aide ménagère, sorties avec les frères et sœurs, préparation des repas, etc. Souvent, les parents tiennent bon pendant la phase intensive et font une dépression à la fin de la thérapie. J’invite là encore les personnes concernées à se tourner vers des spécialistes.

 

De votre point de vue de médecin, quelles sont les lacunes qui subsistent au niveau de la prise en charge ?

La problématique financière est une source de préoccupation majeure pour les parents : de la perte de salaire au financement des moyens auxiliaires et des médicaments, lorsque la caisse maladie ou l’assurance invalidité ne couvre que partiellement ou pas du tout certains coûts, en passant par les frais de déplacement et de stationnement. Des fondations fournissent une aide ponctuelle dans les cas d’extrême urgence, mais ce coup de pouce n’est pas suffisant, loin de là. Il est établi que les parents dont l’enfant a eu un cancer sont financièrement moins bien lotis que les parents ayant un enfant du même âge qui n’a pas eu de cancer, et ce encore 10 ans après la fin de la thérapie. Les enfants qui ont peu de chances de guérison auraient quant à eux besoin d’une offre généralisée de soins palliatifs de qualité. La sensibilisation de la population constitue un autre axe de travail important. Nombreuses sont les personnes à penser, aujourd’hui encore, que le cancer est synonyme de mort prématurée. Pourtant, grâce aux progrès de la médecine, nous sommes désormais en mesure de guérir plus de quatre enfants sur cinq. À l’inverse, d’autres personnes sont convaincues, par exemple, que nous avons aujourd’hui les moyens de guérir toutes les tumeurs cérébrales. Il existe donc un grand besoin d’information autour du cancer pédiatrique.

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