Pour les familles concernées, la situation est particulièrement éprouvante lorsque la caisse maladie refuse de rembourser des médicaments et des traitements complémentaires d’importance vitale, ou ne le fait qu’après de fastidieuses démarches administratives. Pour les parents déjà au comble de l’inquiétude pour la survie de leur enfant, ces incertitudes provoquent un stress considérable. Des vérifications coûteuses et une bureaucratie inutile peuvent entraîner des retards de traitement et compromettre les chances de guérison des enfants. En effet, chez l’enfant, le cancer se développe beaucoup plus rapidement que chez l’adulte et nécessite une action rapide. La réforme de l’ordonnance sur l’assurance-maladie sur laquelle travaille actuellement la Confédération va aggraver le problème et rendre encore plus difficile l’accès à des médicaments d’importance vitale pour les enfants atteints de cancer.
« Le fait que la caisse maladie ne veuille pas payer a été un choc énorme pour nous. »
Shanna G., mère concernée
Utilisation off-label de médicaments contre le cancer pour les enfants
En raison de la faible proportion d’enfants et d’adolescents frappés par le cancer par rapport aux adultes, le développement et la commercialisation de médicaments spécifiques sont moins intéressants pour l’industrie pharmaceutique. La plupart des médicaments utilisés pour traiter les jeunes patients ne sont donc autorisés que pour les adultes. Ces utilisations dites « off-label » (ou hors indication) sortent alors des indications officielles. C’est pourquoi ils ne sont remboursés que sous certaines conditions par la caisse maladie ou l’AI, dans le cadre d’une réglementation d’exception. Actuellement, environ 90 % des médicaments utilisés chez les enfants et les adolescents touchés par le cancer sont concernés. En clair, cela signifie que le remboursement ou non du traitement d’un enfant atteint d’un cancer dépend exclusivement de la décision de l’assurance concernée.
« J'ai dû me battre pour que la caisse maladie rembourse la chimiothérapie de mon fils. »
Alessia B., mère concernée
Taux de guérison élevé grâce à des protocoles de traitement standardisés
En Suisse, la majorité des enfants et adolescents touchés sont traités selon des protocoles de traitement internationaux stricts, préalablement approuvés par Swissmedic et vérifiés et approuvés par des commissions d’éthique en Suisse. Ces protocoles permettent de garantir à chaque enfant atteint d’un cancer un accès aux options thérapeutiques les meilleures selon les standards internationaux et d’atteindre un taux de guérison de 80 % des patients. Contrairement à leurs homologues spécialisés en médecine adulte, les oncologues pédiatres ne recommandent donc pas des traitements personnalisés, mais sont tenus de suivre à la lettre les protocoles de traitement et de médication. Cela signifie que tous les oncologues pédiatres appliquent le même protocole de traitement dans toute la Suisse. Cette normalisation permet de proposer une médecine de qualité qui s’appuie sur des bases solides. Malgré cette normalisation, les éléments de ces traitements standardisés doivent systématiquement être justifiés pour chaque patient auprès de l’assurance et nécessitent d’âpres et coûteuses négociations.
Prise en charge automatique des thérapies standard
Ces vérifications longues et fastidieuses surchargent inutilement les centres d’oncologie pédiatrique et leur font perdre un temps précieux. Alors que les médicaments plus anciens et moins chers sont généralement remboursés, les obstacles à la prise en charge de médicaments récents et plus coûteux sont souvent plus importants : selon l’assurance, le remboursement n’est accepté qu’après un lourd travail administratif, ou est carrément refusé. Grâce aux progrès rapides réalisés dans le traitement des cancers adultes, les enfants auront eux aussi de plus en plus accès à des options thérapeutiques innovantes dans les années à venir. En raison de l’augmentation des coûts, celle-ci s’accompagnera d’une pression croissante sur les prix. Des difficultés croissantes sont donc à craindre pour l’avenir, en particulier dans le domaine de l’oncologie pédiatrique. Pour éviter cet écueil, il faudrait que les caisses maladies ou l’AI prennent automatiquement en charge l’ensemble des médicaments inclus dans ces thérapies standard testées et approuvées.
« Le recours à un médicament innovant peut faire la différence entre la vie et la mort d’un enfant. »
Dr Pierluigi Brazzola, oncologue pédiatre
Les assureurs se soustraient à leurs responsabilités
Chez les enfants et les adolescents, il existe plus de 60 types de cancer différents, avec de nombreux sous-types au sein d’un même groupe de tumeurs. En Suisse, certaines de ces tumeurs sont extrêmement rares. Si le traitement ne fonctionne pas ou si le cancer récidive, les médecins font tout pour sauver la vie de l’enfant. Pour pouvoir combattre la tumeur de manière plus ciblée, ils utilisent alors souvent des médicaments plus récents et plus chers. Dans ces cas, et comme le nombre de patients concernés est très faible, il n’existe généralement pas de protocole de traitement. Cela signifie que, pour les oncologues pédiatres, il est alors particulièrement difficile d’apporter la preuve de l’utilité thérapeutique du traitement prescrit au médecin-conseil de la caisse maladie ou de l’AI. Dans environ 50 % des cas, la prise en charge des coûts est dans un premier temps refusée. S’ensuit alors souvent un long processus de négociation entre les oncologues pédiatres, les assureurs et les fabricants de médicaments. Dans environ 20 % des cas, ces négociations se soldent par un refus définitif. Les parents sont alors contraints d’espérer qu’une fondation accepte de prendre en charge les frais de traitement ou de les assumer eux-mêmes. Le fait que les assureurs se permettent de se soustraire à leurs responsabilités alors qu’il s’agit d’enfants frappés par le cancer, c’est-à-dire les patients les plus faibles et les plus vulnérables qui soient, soulève de grandes questions éthiques.
Un comité d’experts pour les cas complexes et les récidives
L’évaluation de maladies complexes et rares comme le cancer pédiatrique requiert des connaissances hautement spécialisées. Les médecins-conseils des assureurs, qui doivent évaluer les demandes de garantie de prise en charge des coûts dans différents domaines médicaux, ne disposent généralement pas de l’expertise nécessaire. Cancer de l’Enfant en Suisse demande qu’un comité d’experts spécialisé habilité à prononcer des décisions contraignantes vienne en appui aux médecins-conseils pour garantir que l’utilité des traitements non standardisés puisse être valablement évaluée. Seule cette approche permettra de garantir que les enfants et les adolescents atteints d’un cancer complexe ou récidivant bénéficient à l’avenir d’un accès égal aux meilleurs traitements.
Meilleure prise en charge des traitements d’accompagnement
Chez les enfants dont le système immunitaire est affaibli par un traitement contre le cancer, une infection peut rapidement représenter un danger vital. Les bactéries, les virus et les champignons pénètrent plus facilement dans l’organisme et s’y multiplient sans résistance. C’est pourquoi, au-delà du traitement du cancer lui-même, les traitements de soutien – les soins de support – sont extrêmement importants. Ils ne servent pas seulement à prévenir les infections, mais aussi à améliorer la qualité de vie en contribuant par exemple à rendre les interventions douloureuses plus supportables. De nombreux médicaments utilisés dans ce cadre ne sont pas remboursés par l’assurance maladie ou l’AI. Conséquence : les parents concernés sont contraints de payer une partie eux-mêmes. C’est pourquoi, ici aussi, une prise en charge plus large des coûts de ces mesures de soutien importantes pour les patients est nécessaire.
La réforme du Conseil fédéral place les enfants et les adolescents atteints d’un cancer dans une situation de détresse
La révision de l’ordonnance sur l’assurance-maladie (OAMal) prévue par le Conseil fédéral aggraverait considérablement les difficultés existantes en matière de prise en charge des coûts des médicaments. En effet, des études cliniques contrôlées sont désormais requises. Elles doivent montrer un gain d’au moins 35 % par rapport au traitement médicamenteux standard ou, s’il n’y en a pas, par rapport au placebo. Une condition que de nombreux médicaments figurant sur la liste des spécialités ne remplissent pas. Le fait que les médicaments utilisés off-label soient soumis à des critères beaucoup plus stricts que les médicaments remboursés par les caisses est totalement contraire à l’objectif des dispositions de l’ordonnance qui règlent le remboursement des médicaments dans des cas particuliers*. La révision toucherait donc particulièrement les patients souffrant de maladies rares, comme les enfants et les adolescents atteints d’un cancer. En effet, dans ces situations, les protocoles de traitement pour une récidive ou une maladie réfractaire ne répondant pas aux traitements standard sont quasiment inexistants, en raison du faible nombre de cas. La preuve d’un bénéfice supplémentaire de 35 % ne pourrait donc le plus souvent pas être apportée. Les conséquences seraient dramatiques, le remboursement d’un traitement deviendrait encore plus difficile, et les chances de guérison s’amenuiseraient considérablement. Considérant que ces nouvelles dispositions placent les enfants et les adolescents frappés par le cancer dans une situation de prise en charge dramatique, il faut impérativement y renoncer.
Cancer de l’Enfant en Suisse se mobilise contre les inégalités de traitement
L’objectif de Cancer de l’Enfant en Suisse est qu’à l’avenir, tous les médicaments nécessaires au traitement soient pris en charge par les assurances. Cela inclut le remboursement automatique de tous les médicaments prévus dans le cadre des thérapies standard. En outre, pour soutenir les médecins-conseils et évaluer l’utilité thérapeutique d’un traitement non standardisé, l’association faîtière demande l’appui d’un comité d’experts indépendants issus du domaine de l’oncologie pédiatrique habilité à rendre des décisions contraignantes. Ce procédé permettrait d’éviter que, dans les cas litigieux, des inégalités de traitement apparaissent entre les patients en fonction de leur caisse maladie ou de l’office AI cantonal concerné. S’agissant des thérapies complémentaires qui permettent d’éviter des infections potentiellement mortelles chez les enfants immunodéprimés et d’améliorer sensiblement leur qualité de vie, une prise en charge plus large des coûts par les assurances est en outre nécessaire.
La proposition de révision actuelle de la Confédération ne résoudra pas le problème de l’égalité d’accès aux médicaments vitaux en oncologie pédiatrique. Au contraire, elle l’aggravera sensiblement. Cancer de l’Enfant en Suisse rejette donc le projet d’ordonnance et propose à la place un soutien actif dans l’élaboration de solutions viables. Des pistes d’amélioration ont déjà été soumises au Conseil fédéral dans le cadre d’une prise de position. Celle-ci a été soutenue par les neuf cliniques membres du SPOG** spécialisées dans le traitement des enfants et des adolescents touchés par le cancer. Outre des entretiens ciblés avec des acteurs politiques importants, des alliances ont pu être formées avec d’autres partenaires du domaine de la santé afin d’attirer l’attention sur les effets délétères de la révision actuelle. Parallèlement, l’association faîtière a lancé une offensive médiatique qui lui a permis de sensibiliser le public et les décideurs à la menace d’une prise en charge déficiente. Plus d'informations sur notre engagement politique ici.
* Les articles 71a à 71d OAMal règlent le remboursement des médicaments dans des cas particuliers pour les traitements off-label et hors LS. Il s’agit d’une réglementation d’exception qui vise en premier lieu à garantir l’accès à des médicaments ne figurant pas sur la LS (liste des spécialités) pour le traitement de maladies mortelles et d’atteintes graves et chroniques à la santé.
** Groupe d’Oncologie Pédiatrique Suisse (SPOG)