Entretien Rahel Morciano 2023/1-2 - Cancer pédiatrique :  Perspectives d'avenir ? - Campagnes - Actualité - Kinderkrebsschweiz
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« Pour les anciens malades d’un cancer pédiatrique, les candidatures relevaient d’un numéro d’équilibriste.»

Entretien avec Rahel Morciano, mère d’un jeune adulte guéri 

Le fils de Rahel Morciano a développé une tumeur cérébrale à 14 ans. Aujourd’hui âgé de 22 ans, Jamiro est considéré comme guéri, mais vit avec les effets à long terme de la maladie et de la thérapie. Ses parents mettent tout en œuvre pour lui permettre d’accéder au métier de ses rêves. Le chemin, cependant, est semé d’embûches.

 

Madame Morciano, votre fils s’est vu diagnostiquer une tumeur cérébrale en 2015. Comment vous et votre famille avez-vous vécu cela ?

Notre monde s’est effondré à l’annonce du diagnostic. Nous avions très peur pour notre fils et nous avons dû réorganiser toute notre vie du jour au lendemain. À l’époque, je travaillais. J’ai dû arrêter, cela aurait été impossible autrement. Dans les premiers temps, nous étions complètement dépassés et nous fonctionnions en pilote automatique. L’opération et la chimiothérapie ont d’abord provoqué chez Jamiro une hémiplégie du côté gauche. Au début, l’essentiel était qu’il se remuscle et reprenne des forces. Mais cela a pris du temps et il est resté près de deux ans et demi en fauteuil roulant. Aujourd’hui, il va bien compte tenu des circonstances, pourtant rien n’est plus comme avant. La maladie a bouleversé beaucoup de choses, mais nous avons appris à vivre avec et à en tirer le meilleur parti.

 

Quelles ont été les conséquences de la maladie sur la scolarité et la formation de Jamiro ?

Lorsque le diagnostic a été posé, Jamiro était en secondaire. Bien qu’il ait été absent presque toute l’année scolaire, il a réussi à l’achever avec succès. Il avait toujours rêvé de devenir ingénieur chimiste et son parcours était tout tracé : d’abord un apprentissage de laborantin, puis des études pour obtenir la maturité professionnelle de chimie. Mais les effets à long terme de la maladie ne lui ont pas permis de trouver de place d’apprentissage. Cette période a été très éprouvante pour nous tous. Il essuyait refus sur refus et n’a même jamais été convié à un entretien d’embauche. Avec son statut d’ancien malade d’un cancer pédiatrique, les candidatures relevaient d’un numéro d’équilibriste : « Est-ce qu’il vaut mieux que je parle de mon cancer ou non ? Dois-je informer un potentiel employeur de ma maladie, même si elle est ancienne, avec le risque de diminuer alors mes chances d’être retenu ? Ai-je le droit de taire cet aspect ? » Ces questions, toutes les personnes dans sa situation se les posent. Mais dans le cas de Jamiro, il était clair que nous devions communiquer ouvertement sur le sujet car il présente des troubles de l’équilibre et souffre de fatigue chronique*. Autrement dit, comme beaucoup d’autres survivants, il est régulièrement pris d’épuisement et doit veiller à équilibrer ses dépenses énergétiques.

 

Qu’a-t-il fait lorsqu’il a vu qu’il ne trouverait pas de place d’apprentissage ?

Il a été contraint d’opter pour une voie détournée et s’est dirigé vers une école du degré diplôme. Cela lui a laissé plus de temps pour se reposer tout en préparant un diplôme en phase avec son projet. Puis, le marathon des postulations a repris et cette fois, la chance lui a souri. Il a décroché une place d’apprentissage de laborantin en chimie chez un employeur prêt à l’embaucher malgré ses antécédents médicaux. C’était une immense avancée pour lui et nous en étions tous très heureux. Mais au bout d’environ un an, les choses se sont gâtées : l’altération de ses fonctions physiques rendait difficile la réalisation de certaines de ses tâches de laborantin. Son employeur l’a sommé de réaliser plusieurs examens externes et s’est appuyé sur les résultats de ces tests pour rompre son contrat de formation quelques mois plus tard. Ce qui nous a le plus déçus, c’est que personne n’avait l’air disposé à chercher des solutions pour lui permettre de finir son apprentissage malgré tout. Jamiro a traversé une nouvelle période de creux, il souffrait énormément de la situation. Sur les conseils de l’assurance-invalidité (AI), il a effectué quelques stages d’observation pour, au bout du compte, se voir suggérer un apprentissage d’employé de commerce, alors même qu’il avait clairement fait savoir qu’une formation dans ce domaine ne l’intéressait pas. Mais il semble que ce soit une solution couramment proposée par l’AI aux survivants de tumeur cérébrale. Nous ne comprenons pas que le système soit à ce point rigide. On ne peut demander à un jeune adulte ayant vaincu une maladie aussi grave qu’un cancer et encore marqué par ce combat de renoncer à ses rêves d’avenir ! Nous avons donc cherché nous-mêmes des solutions qui lui permettent peut-être d’atteindre son objectif professionnel. Il est désormais dans un gymnase où il prépare une maturité, dans l’idée de suivre ensuite des études de chimie.

 

Comment prenez-vous les choses ? Et votre fils ?

Nous sommes chaque jour confrontés à la maladie et à ses effets à long terme. Il faut accepter qu’il n’y aura pas de retour à la normale. Le cancer a laissé son empreinte sur la vie de Jamiro. Pour lui, ce n’est pas toujours facile de devoir dépendre si longtemps de nous parce qu’il a besoin de plus de temps que les autres jeunes de son âge. Il a aujourd’hui 22 ans et il lui reste encore deux ans avant d’obtenir sa maturité, ce qui recule d’autant la suite de son parcours. D’ici à ce qu’il achève ses études, il aura peut-être presque trente ans. Il y a aussi les autres obstacles auxquels nous n’avions pas pensé. Comme il a choisi d’aller au gymnase[AF2]  en vue d’un cursus d’études supérieures, l’AI ne prend plus en charge certains coûts. Nous perdons ainsi des aides qui lui auraient pourtant facilité le quotidien. Pour nous, c’est incompréhensible, car le cursus qu’il suit relève toujours de la formation initiale. Ce n’est pas lui qui a voulu interrompre son apprentissage, il a été obligé d’emprunter une voie parallèle pour se rapprocher de son objectif, le métier d’ingénieur chimiste. S’il avait suivi l’apprentissage commercial proposé par l’AI, ces aides lui seraient encore versées. La voie qu’il a choisie est considérée comme une deuxième formation. Je trouve cela très injuste. 

 

Quelles sont les conséquences financières pour vous ?

Je tiens d’abord à dire que nous sommes très fiers de lui, car il ne perd pas son objectif de vue, même si les effets à long terme l’obligent à multiplier les étapes et à prendre plus de temps pour y arriver. Dès lors qu’il en a les capacités physiques, nous ne voulons pas que ses rêves de carrière soient brisés. C’est une chose que toutes les familles ne peuvent se permettre, car ces limitations génèrent de nombreux frais supplémentaires, généralement à la charge des parents. D’abord, parce que la formation peut prendre plus de temps, comme c’est le cas pour Jamiro. Ensuite, parce que certains jeunes adultes guéris, à la différence de leurs autres camarades, doivent garder toutes leurs forces pour leurs études et ne peuvent les consacrer à un job étudiant, source de revenu complémentaire. Enfin, nous, les parents, devrons aussi payer pour certaines choses – l’assurance-maladie, l’AG, la taxe d’exemption d’obligation de servir et autres – plus longtemps que si Jamiro avait eu un parcours normal.

 

Quels sont vos souhaits, pour vous et pour les autres parents ?

Beaucoup de parents, mais aussi de survivants d’un cancer dans l’enfance ou l’adolescence se sentent abandonnés à leur sort. C’est l’impression que nous avons eue, même si nous avons eu la force de prendre les choses en main. J’aimerais qu’à l’avenir, les informations sur les offres de soutien soient plus accessibles. Nous avons consacré beaucoup d’énergie à collecter tous ces renseignements. Nous aurions apprécié de pouvoir nous adresser à une interface centralisée. Nous sommes également très préoccupés par les questions juridiques relatives à l’AI que soulèvent la maladie et ses effets à long terme : « À quelles prestations avons-nous droit ? À quoi devons-nous faire attention ? » Par ailleurs, il est urgent d’améliorer les offres de conseil de carrière destinées aux jeunes adultes guéris, afin qu’ils puissent accéder plus facilement à une formation qui leur convient et ne courent pas le risque d’être « casés » dans un apprentissage d’employé de commerce, par exemple, comme mon fils. Comme lui, beaucoup de ces jeunes ne souffrent en effet d’aucune déficience cognitive, même s’ils peuvent présenter des limitations physiques qui entravent leurs capacités. J’aimerais qu’ils aient les mêmes chances et opportunités que les autres jeunes de leur âge, qu’ils puissent embrasser une carrière en phase avec leurs aspirations et se voir offrir une réelle indépendance. La réalité, malheureusement, est différente. 

 

 

* Le syndrome de fatigue chronique est une impression écrasante, persistante et subjective de fatigue ou d’épuisement sur le plan physique, émotionnel ou cognitif, en lien avec le cancer ou son traitement, sans rapport avec l’activité du moment et limitant les capacités fonctionnelles habituelles. 

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